Note Smolny :
Ce petit livre réjouissant fait la « chasse au Furet » ; aujourd’hui l’on peut reparler de la Révolution française, de ceux qui comme les Enragés voulaient la continuer : « Le mouvement révolutionnaire, qui prit naissance en 1789 au Cercle social, qui, en cours de route, eut pour représentants principaux Leclerc et Roux et finit par succomber temporairement avec la conspiration de Babeuf, avait fait éclore l’idée communiste que Buonarroti, l’ami de Babeuf, réintroduisit en France après la révolution de 1830. Cette idée, élaborée avec conséquence, c’est l’idée d’un nouvel ordre du monde. » (page 558, in La Sainte Famille, Oeuvres tome III, Gallimard 1982)
Il évoque aussi la possibilité de traduire les recherches de deux historiens remarquables : le russe Sacher et l’allemand Markov.
J.O.
Présentation de l’éditeur :
En 1792-93, ceux qu’on appelait les Enragés, la frange la plus radicale de la Révolution française, entendaient poursuivre la Révolution à laquelle modérés et Jacobins rêvaient de mettre un terme.
À Paris et à Lyon, dans les sociétés populaires, les clubs, les émeutes, ils ont laissé des brochures, des discours, des journaux, un bouillonnement d’idées et de pratiques : démocratie directe, droit de tous aux produits de base, résistance à la dictature du commerce, pleine citoyenneté des femmes, sanctions contre les spéculateurs et les « agioteurs »... Ces questions, qui restent d’une brûlante actualité, continuent de nourrir notre réflexion et notre impatience.
Sommaire :
Écrire l’histoire, continuer la révolution
Démocratie directe et mandat impératif
Pauvreté, vie chère et subsistances
« Sans être féministe » - la lutte des femmes pour leurs droits
Repères biographiques (avec les citoyennes DUBREUIL, LACOMBE Claire, LEON Anne et leurs complices « Enragés » HIDINS Philippe Auguste, LECLERC Jean, ROUX Jacques et VARLET Jean-François)
Bibliographie
L’auteur en quelques mots :
Claude Guillon, écrivain et essayiste, spécialiste des Enragés, a publié une quinzaine d’ouvrages dont, récemment, Le Droit à la mort (Hors commerce) et Je chante le corps critique (H&O).
Quelques extraits :
« Comme le curé Jacques Roux, comme Jean-François Varlet et ces militantes de la Société des citoyennes républicaines révolutionnaires, Pauline Léon et Claire Lacombe, Leclerc fait partie du courant dit des Enragés, auquel s’intéresse le présent ouvrage. [...] Ils ou elles pensent, comme Saint-Just, que « ceux qui ont fait une révolution à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau ». Mais contrairement à Saint-Just, ils vivent dans le peuple, militent dans les sections et les clubs et se battent physiquement - notamment les femmes ! - à l’occasion des journées insurrectionnelles. [...] Et c’est bien sous la pression des Enragés et du mouvement populaire que la Convention adopte ses mesures les plus audacieuses : maximum des grains, greniers d’abondance, loi des suspects, répression de l’agiotage ... Leur apport n’est pourtant que rarement estimé à sa juste valeur pour des raisons - idéologiques - que nous évoquerons plus loin. [...] En juin 1793, l’observateur de police Dutard confirme, dans l’un de ses rapports, l’usage politique du terme en l’associant au peuple des faubourgs : « Les sans-culottes et les enragés ne parlent de rien moins que de dépouiller les riches. » (Markov, 1970, p. 234)
« En 1927, Albert Mathiez (1874-1932) accorde une grande place aux Enragés, au moins aux principales figures du courant, dans La vie chère et le mouvement social sous la Terreur. Cependant, robespierriste convaincu, il a tendance à les dénigrer et à minimiser leur rôle. C’est en URSS que, pour la première fois, à la même époque, des historiens comme Natalia Freïberg et surtout I.M. Sacher (1893-1963) s’intéressent aux Enragés, publient des analyses d’ensemble sur leur courant et consacrent des biographies à chacun d’eux. [...] Sacher publie ses premières brochures sur Jacques Roux et sur les Enragés entre 1921 et 1925. [...] D’abord « enclin à considérer leur idéologie comme « réactionnaire », car s’opposant à l’essor inévitable du capitalisme », il reconsidérera son point de vue à la fin des années 1950 et publiera, en 1961, la version définitive de son livre : Le Mouvement des « Enragés ». Pas un de ces ouvrages, livres, articles et brochures n’a été traduit en France, où les historiens philosoviétiques ne manquaient pourtant pas ! Sacher entretient des liens étroits avec Mathiez, mais cela pèse peu au regard des enjeux idéologiques du débat : dans l’Union soviétique des premières décennies du XX° siècle, la Révolution française n’est pas un objet historique « refroidi ». [...] L’historien d’Allemagne de l’Est Walter Markov (1909-1993) verra ainsi, dans les années 1960, son énorme travail biographique sur Jacques Roux « dispensé » de traduction française, malgré son compagnonnage intellectuel avec Albert Soboul. Il a en effet commis le péché de « surestimer » l’influence de l’Enragé tandis qu’il conteste que Maximilien Robespierre (1758-1794) a pu « incarner la Révolution » depuis la Constituante. [...]
« Brissot, le chef de file des Girondins [...] présente candidement sa démarche : « Je veux aujourd’hui l’ordre contre les anarchistes, parce qu’il n’y a plus de roi. J’ai marché au républicanisme, pour avoir l’ordre ; je veux l’ordre pour conserver le républicanisme. Est-ce là une démarche tortueuse. » [...] Ajoutons que cet aspect des choses n’a pas échappé à des historiens peu suspects de sympathie pour l’extrême-gauche sans-culotte. [...] Quant à Adolphe Thiers, monarchiste constitutionnel et massacreur de la Commune de 1871, il n’est pas moins ironique : « En cela, Robespierre ne mettait d’autre ambition que celle de tous les chefs révolutionnaires, qui, jusque-là, avaient voulu arrêter la révolution au point où ils s’arrêtaient eux-mêmes. [...]
« Que veut-on nous faire accroire, de sommets économiques en communiqués officiels ? Ceci : l’histoire de notre espèce finit là, dans le capitalisme planétaire, le gaspillage durable des ressources naturelles, et - pour les plus méritants - la démocratie représentative. Et ceci encore : toute tentative de rompre avec l’ordre « naturel » et inégalitaire des choses, des classes et des genres, mène à la Terreur, au despotisme totalitaire et aux camps de travail. Historiens, sociologues, économistes, philosophes et sociobiologistes viennent confirmer le décret. Les plus empressés sont des ci-devant ceci et d’anciens cela. Ils étaient staliniens ; ils perpétuent le mensonge du maître en assurant que le goulag incarnait bien le socialisme, illusion tragique et sanglante. [...]
« C’est un des objectifs du présent opuscule de rappeler que ce discours de négation de l’histoire comme étant faite par les hommes, et non seulement subie par eux, fut repris aux religieux par les bourgeois de 1789, et qu’ils l’opposèrent très tôt aux sans-culottes. Il s’agit d’un discours de classe, qui veut interrompre le mouvement de la révolution avant qu’il ne menace ses intérêts. Autrement dit : le bon sens bourgeois comme préservatif contre l’élan révolutionnaire naît dans et contre le cours même de la Révolution française. Ils sont exactement contemporains ... » (pages 7, 10, 15-21, 30-31)
Éditions IMHO, "Radicaux libres", parution : février 2009
ISBN : 978-2-915517-36-1
174 pages / 15cm x 21cm / 15 euros
Bibliographie complémentaire :
— AFTALION Florin, L’économie de la Révolution française, Belles Lettres, 2007 ;
BENOIT Michel, 1793 La République de la tentation - Une affaire de corruption sous la Ière République, Editions de l’Armançon, 2008 ;
— BERLAND André, Un grand révolutionnaire charentais : Jacques Roux (1752-1794), Paris, 1988 ;
— BOURDIN Philippe (Collectif), La Révolution 1789-1871 - Ecriture d’une histoire immédiate, PU Blaise Pascal, 2009 ;
BURSTIN Haim, L’invention du sans-culotte. Regard sur le Paris révolutionnaire, Odile Jacob, 2005 ;
— FULLER JFC, La conduite de la guerre de 1789 à nos jours - Etude des répercussions de la Révolution française, de la révolution industrielle et de la révolution russe sur la guerre et la conduite de la guerre, Payot, 2007 ;
— FURET François, Penser la Révolution française, Gallimard 2007 ; La Révolution française - Penser la Révolution française ; La Révolution, de Turgot à Jules Ferry : 1770-1880 ; Portraits ; Débats autour de la Révolution ; L’avenir d’une passion, Gallimard, 2007 ;
— GODINEAU Dominique, Citoyennes tricoteuses. Les femmes du peuple à Paris pendant la Révolution française, Perrin, 2004 ;
— GUERIN Daniel, Bourgeois et bras-nus. La guerre sociale sous la révolution (1793-1795), réédition Les Nuits rouges, 1998 ;
— HORNE Alistair, La Révolution française, Gründ, 2009 ;
— HOULD Claudette, La Révolution par le dessin - Les dessins préparatoires aux gravures des Tableaux historiques de la Révolution française (1789-1802), RMN, 2008 ;
— JESSENNE Jean-Pierre (Collectif), Vers un ordre bourgeois ? - Révolution française et changement social, PU Rennes, 2007 ;
— JOURDAN Annie, La Révolution, une exception française ?, Flammarion, 2006 ;
— KONDRATIEVA Tamara, Bolcheviks et Jacobins, Payot, 1989 ;
— KROPOTKINE Pierre, La Grande Révolution (1789-1793), Editions Tops/ H. Trinquier, 2002 ;
— LIGNEREUX Aurélien, La France rébellionnaire - Les résistances à la gendarmerie (1800-1859), PU Rennes, 2008 ;
— MARTIN Jean-Clément, La révolte brisée - Femmes dans la Révolution française et l’Empire, Armand Colin, 2008 ;
— MAZAURIC Claude, L’histoire de la Révolution française et la pensée marxiste, PUF 2009 ; Babeuf - Ecrits, Le Temps des Cerises 2009 ; Un historien en son temps - Albert Soboul (1914-1982), Albret, 2003 ; Robespierre - Ecrits, Messidor, 1989 ;
— MICHELET Jules, Histoire de la Révolution française, Gallimard, 2007 ;
— ROSE Reginald, The Making of the sans-culottes. Democratic Ideas and Institutions in Paris (1789-1792), Manchester University Press, 1983 ;
— SANSON, La Révolution française vue par son bourreau - Journal de Charles-Henri Sanson, Le Cherche-Midi, 2007 ;
— SOBOUL Albert (Collectif), Dictionnaire historique de la Révolution française, PUF, 2005 ;
— VOVELLE Michel, La Révolution française (1789-1799), Armand Colin, 2003 ;
— WAHNICH Sophie, La longue patience du peuple - 1792, naissance de la République, Payot, 2008 ; La liberté ou la mort - Essai sur la Terreur et le terrorisme, La Fabrique, 2003 ;
— ZAIDMAN Pierre-Henri, Le mandat impératif - De la Révolution française à la Commune de Paris, Editions Libertaires, 2008 ;