Présentation Smolny :
Féministe, journaliste (elle succède à Vallès à la direction du Cri du peuple), Séverine est aussi une femme libre et engagée considérant que « la misère tue plus de gens que jamais la mitraille n’en tua ».
Une des rares à condamner l’Union sacrée en 1914, elle adhère au PCF en 1921. Elle le quitte deux ans plus tard pour ne pas renoncer à la Ligue des droits de l’homme qu’elle a contribué à créer. Sa dernière apparition publique en 1927, au Cirque de Paris, sera pour prendre la défense des anarchistes Sacco et Vanzetti.
Sa plume est acérée, simple et émouvante, on le perçoit dans ce recueil d’articles.
JO
Présentation de l’éditeur :
« Il faut toujours dire la vérité » : ultime parole de Caroline Rémy, dite Séverine, qui s’éteignit à Pierrefonds en 1929.
Une maxime à laquelle celle qui fut la première femme journaliste et grand reporter n’a jamais dérogé. Combattante des droits de l’homme, elle prône l’abolition de la peine de mort et rêve avec Vallès, dont elle est la collaboratrice et l’amie, d’une « Ligue des droits de l’enfant ». Féministe visionnaire, elle réclame pour les femmes le droit d’étudier, de divorcer et d’avorter, car « l’avortement est une fatalité - pas un crime ».
Vêtue en ouvrière ou en mineur de fond, elle s’engage avec les pauvres toujours, considérant que « la misère tue plus de gens que jamais la mitraille n’en tua ». Libertaire et antimilitariste, elle exige la grâce de l’anarchiste Vaillant, qui a lancé une bombe au Palais-Bourbon, et prend parti dans l’affaire Dreyfus, moins pour l’officier que contre le mensonge. Pionnière de l’antiracisme, elle appelle à « libérer la race blanche des fers du préjugé » et dénonce dès 1925 le fascisme et ses « troupes fanatisées »...
L’auteur :
Evelyne Le Garrec retrace la vie rebelle d’une femme guidée par l’honnêteté et les convictions. Cet hommage se complète d’un choix de dix-neuf articles de Séverine, publiés entre 1886 et 1903 ; ainsi que de lavis de Colette Deblé et d’un « présent de papier » de Bernard Noël.
Table des matières :
Préface d’Isabelle Rome
Vie et combats d’une frondeuse, par Evelyne Le Garrec
Souvenir, premier anniversaire de la mort de Jules Valles
Adieu
Pont de Charenton, mai 1871
Liberté, égalité, fraternité
Les responsables, à propos de l’anarchiste Duval
Choix de mortes
Solidarité et charité
La maison du coin de quai
La mort de Vaillant
De profondis clamavi ad te ... Après l’explosion du restaurant Véry
Un lâche
Autour de l’énigme
Les enfants martyrs
Le droit à l’avortement
La Mort-aux-gosses
Tueurs de femmes
Le duel des sexes
Les affranchies
Les revendicatrices
Présent de papier, par Bernard Noël
Bibliographie
Quelques extraits :
« Le 9 mars 1914, à un jour près, à l’initiative du Journal, est donc inaugurée à Paris la « Journée des femmes », avec cette question qui ressemble à un sondage : « Oui ou non, mesdames, voulez-vous voter ? Voici le moment, voici le moyen de nous le dire. Ce sera une répétition générale du suffrage universel. Aux prochaines élections, vous trouverez des urnes où vous pourrez déposer un bulletin au nom de votre candidat. » [...] Marguerite Durand a une idée géniale qui ne divisera personne. La question posée sur le bulletin de vote à mettre dans l’urne ne portera pas sur le nom du candidat. Il n’y aura que cette formule : « Je désire voter. » [...] A la fin de la journée, les Parisiennes comptent les bulletins de vote : 16 819. Un triomphe ! Pendant la semaine qui suit arrivent les bulletins de province. Le jour de la clôture du scrutin, ils sont 505 972. [...] Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? La prochaine étape : les femmes dans la rue. [...] Le 5 juillet, six mille femmes sont dans la rue. [...] La journée est une réussite. L’Intransigeant prédit : « La prochaine grande réforme dans le pays : les femmes voteront. Et ne haussez pas les épaules. Elles voteront dans quatre ans. Vous verrez ! » Mais cette manifestation marque aussi la mort du bonheur des femmes. Elles ne voient pas venir le cataclysme qui, dans peu de temps, emportera tout sur son passage. [...]
Il se produit trois semaines plus tard. [...] Séverine refuse de croire à la guerre. Elle a participé à de nombreux congrès pacifistes, prenant la défense des objecteurs de conscience : « Tout de même, si un jour, de part et d’autre, deux armées en présence, cinquante mille hommes mettaient la crosse en l’air, proclamaient pour l’humanité le droit de vivre fraternellement ... Qui oserait s’inscrire contre cela ? »
Jules Guesde, désormais député, est favorable à la guerre. Jaurès est contre. Il a déclaré qu’en cas de conflit, il préconiserait la grève générale. Mais, le 31 juillet, il est assassiné à la brasserie du Croissant, près de la rue Montmartre : une balle tirée dans son dos, brisant la vitre sur laquelle il était appuyé. [...] Abandonnant le malade [Séverine est alors au chevet de son ancien amant.], Séverine prend son manteau, son chapeau et se précipite dans la rue en direction du Croissant. Ses joues ruissellent de larmes. Elle croise des groupes de gens qui reviennent de la brasserie, « le front bas, le pas lourd, l’air accablé, comme des moutons traînards qui rejoindraient le troupeau ». [...] Alors la colère l’envahit, mais elle « résonne comme des coups de poings dans l’eau ». [...] Et puis les obsèques. Devant le cercueil, surchargé de couronnes mortuaires, les discours officiels se succèdent. Séverine, elle n’arrive pas à trouver ses mots, et ceux des autres ne parviennent pas à son cerveau. Mots vides de sens. Le cortège se dirige vers la Concorde. A la gare d’Orsay, un train va emporter Jaurès vers Castres, sa ville natale. Une foule immense gémit : « Adieu, Jaurès ! » Alors Séverine hurle : « A gauche ! » Mais sa voix se perd dans la clameur mortuaire.
Le 1er août, c’est la mobilisation générale. La guerre est déclarée le surlendemain par l’Allemagne. Et voilà que Jaurès meurt une nouvelle fois, trahi par la presse, récupéré, lui le pacifiste convaincu jusqu’à en mourir. L’Intransigeant du 2 août affirme que, peu avant sa mort, il aurait déclaré à « un publiciste de nos amis » (anonyme) : « Je crois bien que je me suis trompé - sans doute la guerre, dans certaines circonstances, est d’essence divine. » Et la direction du même journal écrit dans son édito : « Certes, il n’entendait point là renier les idées de toute sa carrière. Mais, éclairée à la lumière des évènements récents, sa haute intelligence avait compris [...] que la guerre est sainte quand elle vise à maintenir l’intégrité de la patrie. Ainsi Jaurès s’apprêtait à apporter son secours à la Défense nationale. Sa voix s’est tue. Mais ses dernières paroles dictent leur devoir à ses amis : et nous ne doutons pas qu’ils écoutent les suprêmes conseils du mort. »
En attendant, chez les vivants, on est récompensé, on progresse dans la carrière. Le vieil ennemi de Séverine, Jules Guesde, entre le 7 août au ministère de la Défense nationale. Séverine se remémore ses affirmations au Cri du peuple : « S’il y avait une menace d’hostilités, le premier devoir serait de sauter sur le ministère de la Guerre pour paralyser l’action. » (pages 59 à 69)
Une autre femme courageuse, c’est Hélène Brion, institutrice à Pantin qui, le 25 mars 1918, comparaît devant le conseil de guerre. Militante socialiste, féministe et pacifiste, elle est poursuivie pour « propagande destinée à favoriser l’ennemi et à exercer une influence néfaste sur le moral de l’armée. » Elle a fait preuve de « défaitisme » en diffusant trois brochures socialistes. Séverine a accepté de témoigner en sa faveur. Elle amène avec elle sa petite-fille Jeanne Montrobert, âgée de seize ans. [...] Perdue dans la foule, Jeanne regarde Hélène, l’accusée, en admirant son assurance. Puis le silence se fait dans la salle. Jeanne voit sa grand-mère s’avancer, droite, d’un pas ferme, vers la barre des témoins. [...] elle interroge le conseil de guerre : « On poursuit cette femme pour avoir diffusé des brochures. Pourquoi ne poursuit-on pas les auteurs ? » Le juge lui demande si elle connaît l’éditeur. « Parbleu, répond-elle, c’est écrit sur la brochure même ! C’est la Confédération générale du travail ! Mais elle vous ne la poursuivez pas ! Vous vous êtes rejetés sur une faible femme. » Puis elle lit des extraits d’un livre de Georges Clemenceau, La Justice militaire, plutôt pacifiste ? « Mais, dit le juge, il date d’une époque où il n’y avait pas de guerre. Qu’en concluez-vous ?
— J’en conclus, réplique-t-elle, que c’est peut-être parce qu’elle a lu ce livre qu’Hélène Brion est ici. » Applaudissements dans la salle, auxquels Jeanne se joint avec fierté. L’accusée écopera de trois ans de prison avec sursis. Libre, mais sans travail car elle a été renvoyée de son poste d’institutrice ... » (pages 74/ 75)
« Je désapprouve la théorie du vol - ou, pour mieux dire, je ne la comprends pas. Elle m’inquiète, me semblant de nature à éloigner de nous les hésitants, à intimider les simples, à effarer les peureux. Mais, dans mon trouble, je sens qu’il y a là le plus douloureux problème social qui ait jamais remué le monde ... et ma pensée reste indécise, mon jugement demeure incertain.
Quelqu’un m’a dit :
— Vous prêchez le vol en masse, et vous le traitez de restitution. Vous crachez sur le vol individuel, et vous l’appelez crime. Pourquoi ?
Oui, pourquoi ? ...
J’ai trop l’horreur des théories et des théoriciens, des doctrines et des doctrinaires, des catéchismes d’école et des grammaires de sectes, pour argumenter et discutailler à perte de vue sur l’acte d’un homme que le bourreau tient déjà par les cheveux, et que tous avaient le droit d’injurier et de réprouver - sauf nous !
Nous passons notre vie à dire aux humbles (c’est notre conviction et c’est notre devoir) qu’ils sont volés, exploités, assassinés lentement ; qu’ils sont de la chair à machine, que leurs filles seront de la chair à plaisir, que leurs fils seront de la chair à canon. Nous attisons les colères, nous embrasons les intelligences ; nous incendions les âmes ; nous faisons, de ces parias, des citoyens, de ces résignés, des révoltés, au nom de la suprême Justice et de l’Equité souveraine.
Nous leur disons : « La Révolution est proche, qui viendra vous délivrer ; qui vous donnera le pain quotidien, et la fierté d’être libres. Ayez patience, ô pauvres gens ! Subissez tout, supportez tout ; et, attendant l’heure propice, groupez vos douleurs, liez en faisceau vos rancunes ou vos espérances - et faites crédit à la Sociale de quelques années de détresse et de sacrifice. »
Les têtus et les persévérants comprennent, serrent d’un cran la boucle sur leur ventre vide, et se remettent au labour social en songeant à la moisson prochaine.
Mais les autres ? ... Les impatients, les exaltés, ceux qui ont la faim impérieuse ou la haine avide ; ceux qui ont trop souffert, trop peiné, trop pâti ; qui ont trop d’enfants au logis ou trop de fureurs en tête ; les cerveaux réfractaires à toute idée de discipline et d’organisation ; ceux-là nous écoutent - et ne nous entendent point ! Le son de nos paroles frappe leurs oreilles, le sens ne s’imprime pas dans leur esprit ; et ces hystériques de la misère, ces névrosés de la révolte, sont saoulés par notre virulence comme par un vin trop généreux. Alors, ils commettent quelque acte insensé ou coupable ...
La société bourgeoise se jette sur l’homme, l’empoigne, le supplicie - et notre excommunication tombe sur lui, implacable, féroce, et lourde, comme la dernière pierre qui écrase le cœur du lapidé. Oh ! non, pas cela ! Tous ... sauf nous !
Ce n’est pas le moindre danger de la voie que nous avons choisie, ces compromissions qui nous navrent, mais que nous devons accepter tête haute, en braves gens ayant de l’honneur assez pour en prêter aux malheureux qui se sont déshonorés, parce qu’ils nous ont compris. A nous, les éduqués et les meneurs de foule, toutes les responsabilités - a eux, toutes les indulgences et toutes les pitiés !
Mais tournez-vous donc dans l’histoire, regardez donc dans le passé. Toujours, il s’est trouvé des aventureux et des détraqués pour « compromettre » les causes ; toujours, il s’est trouvé des puritains aveugles pour marquer ces irréguliers à l’épaule d’un désaveu public. C’est Babeuf, que la République guillotine ; c’est Proudhon, que les républicains déshonorent ; ce sont les insurgés de Juin, que Pelletan diffame ; et après 71, combien calomniés par ecux-là mêmes qui avaient été leurs compagnons d’armes ! [...]
Ce serait trop commode, vraiment, de ne donner que sa vie à sa cause, de ne vouloir que les supplices glorieux, les martyres éclatants, le Panthéon de Millière ou la barricade de Delescluze. Allons donc !
Il faut donner tout, vous m’entendez bien : honneur, réputation, préjugés, scrupules ; suivre le peuple à la voirie, suivre le peuple aux gémonies ! Avec les pauvres toujours - malgré leurs erreurs, malgré leurs fautes ... malgré leurs crimes ! » (« A propos de l’anarchiste Duval » [1], pages 105-108)
Éditions L’Archipel, parution : Septembre 2009
ISBN : 978-2-8098-0198-9
213 pages / 14 x 22, 5 cm / 19,95 euros
Bibliographie indicative :
— COUTURIAU Paul, Séverine l’insurgée, Editions du Rocher, 2001 ;
— DEMEULENAERE-DOUYERE Christiane, Séverine et Vallès, le cri du peuple, Payot, 2003 ;
— LECACHE Bernard, Séverine, Gallimard, 1931 ;
— LE GARREC Evelyne, Séverine, une rebelle (1855-1929), Seuil, 1982 ;
Sur la toile :
— Voir une peinture d’Amélie Beaury-Saurel sise au musée Carnavalet ;
— Voir aussi un plâtre d’elle au musée Rodin :
« Sa beauté attire Rodin, qui en commence le portrait par des croquis en 1893, chose rare chez lui, mais les avances appuyées du sculpteur semblent avoir interrompu les séances de pose. Cela n’empêcha pas Séverine de déclarer aux obsèques de Rodin : « La postérité dira Auguste Rodin comme depuis quatre siècles, on dit Michel-Ange. »
[1] Clément Duval avait été condamné à mort en 1887 pour avoir cambriolé un hôtel particulier et blessé un brigadier au moment de son arrestation. Ce fait divers fut l’occasion, dans le Cri du peuple, d’une violente polémique entre Séverine qui défendait Duval et accusait Guesde et les chefs socialistes d’être les « vrais responsables » des attentats anarchistes, et Guesde qui refusait de prendre la défense de Duval. Celui-ci bénéficia finalement d’une mesure de grâce.