Journée d’études organisée par E. Barot et M. F. Touati
Département de philosophie, UTM
Introduction :
Les Principes de la philosophie du droit occupent une place singulière dans l’œuvre de Hegel : quatrième et avant-dernier écrit systématique de Hegel, après la Phénoménologie de l’esprit (1807), la Science de la logique (1812-1816) et l’Encyclopédie des sciences philosophiques en abrégé (1817), les Principes (1820) développent pour elle-même la partie de l’Encyclopédie intitulée « L’esprit objectif », qui entend exposer le processus par lequel l’esprit effectue sa liberté dans une seconde nature (pratiques, institutions, histoire des hommes, etc.). La philosophie du droit avait une telle importance pour Hegel que c’est la seule partie de son système dont l’enseignement a été constamment assuré de 1818 à 1831 (année de sa mort), que ce soit par lui-même ou par l’un de ses plus proches élèves, Eduard Gans. Le rôle historique de ce texte est majeur et l’exemple de Marx, qui - dans son écrit de 1843 - en commente une section presque entière (« L’État ») et en dégage quelques-unes de ses thèses majeures, n’est pas le moindre.
Œuvre philosophique de première importance, les Principes sont également une intervention théorique dans un contexte politique agité, marqué notamment par la censure. Suspecté, dès 1821, de complaisance envers le pouvoir par l’un de ses anciens élèves (Nikolaus von Thaden), Hegel se verra attribué, notamment par Rudolf Haym en 1857, la réputation de « philosophe de l’État prussien », Haym considérant qu’avec les Principes « le système de Hegel devint la résidence scientifique de la restauration prussienne ». Et ce que Hegel indique, en octobre 1820, dans l’exemplaire qu’il dédicace au chancelier de Prusse, le prince Hardenberg, n’arrange pas les choses : il présente son étude « comme une tentative faite pour saisir dans ses traits essentiels ce qui se présente à nos yeux avec une telle efficacité et dont nous goûtons les fruits » ; il espère ainsi que la philosophie « justifie la protection et la faveur dont elle jouit de la part de l’État » et qu’elle se montre « une auxiliaire immédiate des intentions bienfaisantes du gouvernement ». On comprend que von Thaden puisse ainsi écrire à Hegel : « vous êtes décrié tantôt comme philosophe royaliste, tantôt comme royaliste philosophe ». Et pourtant, ce texte réputé conservateur, voire réactionnaire, ce prétendu manifeste de la restauration, n’a précisément pas eu les faveurs de la restauration, bien au contraire. C’est que si la situation historique avait été simple, l’intervention de Hegel aurait pu l’être également. Or, la simplicité, ce n’est précisément pas ce qui caractérise le mieux cette période. Et il n’est vraiment pas nécessaire de faire l’hypothèse, improbable, d’un double langage de Hegel pour comprendre que celui-ci, définissant la tâche de la philosophie comme étant celle de penser ce qui est, se trouve confronté à des difficultés et des tensions réelles qui, précisément, rejaillissent sur sa pensée. C’est d’ailleurs bien dans ce texte que l’on a voulu voir à la fois la portée révolutionnaire et le conservatisme de la pensée hégélienne ; on y a vu aussi bien une critique de la réalité politique de son temps qu’une apologie de l’État autoritaire prussien.
Pour autant que cette opposition forgée par Haym, reprise et développée en un autre sens par Engels, de la méthode révolutionnaire et du système conservateur soit pertinente, il importe alors d’interroger les natures de cette révolution et de ce conservatisme et de ressaisir leur articulation. Plus largement, et en prenant acte des tentatives actuelles de relecture des Principes (J.-F. Kervégan, A. Honneth, par exemple), c’est la question de la possibilité d’un héritage de la pensée politique de Hegel qu’il faut reposer. En proposant ainsi une journée consacrée à des lectures des Principes, qu’elles soient opérées « en interne » ou au travers de réceptions déterminées, il s’agira à chaque fois d’en éclaircir les enjeux contemporains, non pas d’actualiser la philosophie politique de Hegel, mais d’en montrer l’actualité en essayant d’en saisir tout à la fois les apports, les limites et les tensions.
Mercredi 25 avril 2012, 8h30-19h
Bâtiment 18, salle 227
Université Toulouse Le Mirail
Programme :
8H30-8H45 : OUVERTURE
8H45-9H45 : ERIC BORIES (TOULOUSE)
LA SOCIETE HEGELIENNE : LE LIEN ENTRE DEUX INFINIS
Je me propose de montrer en quoi Hegel a pu nous offrir, au moment d’expression la plus mûre de sa pensée, une réflexion sur la société, animée par la volonté de lier de façon immanente et processuelle deux infinis. Dans cette perspective en effet, l’éthicité, et à plus forte raison la vie éthique, apparaissent dans les Principes de la philosophie du droit comme le lien social de l’infini moral et de l’infini logico-spéculatif ou métaphysique. Il ne serait pas alors très étonnant que notre enquête nous conduise à comprendre que notre réflexion sociale contemporaine ne peut que trouver ressource utile à la lecture de la philosophie du droit de 1820.
9H45-10H45 : AURELIEN BERLAN (TOULOUSE)
HEGEL, DIAGNOSTICIEN DU PRESENT ?
Dans cette intervention, il s’agira de déterminer dans quelle mesure Hegel se relie bien au mode de connaissance du présent que l’on peut appeler diagnostic historique, et quelle y est sa place propre. Pour ce faire, je commencerai par esquisser les spécificités de ce mode de réflexion critique sur la modernité afin de montrer ensuite en quoi Hegel s’y rattache bien. Dans un troisième temps, je me baserai plus précisément sur la préface des PPD pour montrer pourquoi le Hegel de la maturité déroge au modèle proposé du diagnostic historique : bien que ce texte défende clairement l’idée que l’objet de la philosophie soit le présent, il semble en même temps saper toute possibilité de critique du présent. Néanmoins, j’essaierai de montrer pour finir que ce texte pose malgré tout les bases d’un diagnostic du présent original.
10H45-11H : PAUSE
11H-12H : JULIEN SERVOIS (PARIS)
LES PRINCIPES DE LA PHILOSOPHIE DU DROIT DE HEGEL ET LE SOCIALISME ETHIQUE DE L’ECOLE DE MARBOURG
Les philosophes de Marbourg, Cohen, Natorp, Vorländer et Cassirer ont certainement contribué à alimenter la mauvaise réputation des Principes de la philosophie du droit : l’idéalisme absolu de Hegel aurait naturellement, selon eux, conduit à une thèse politiquement réactionnaire, justifiant rationnellement l’ordre établi, et l’unique mérite du texte consisterait dans son exposé des contradictions de la société civile - dans la position de « la question sociale ». Dès lors, le retour à Kant - mot d’ordre des Marbourgeois - semble au premier abord consister à aborder cette question sous un angle étroitement moral, à absolutiser le point de vue moral (individuel) dans l’ensemble de la pratique humaine - cette revendication morale devenant l’indispensable supplément d’âme d’un marxisme réduit à exposer la loi d’évolution naturelle des sociétés, d’un marxisme passé au crible de la méthode transcendantale, dédialectisé, déshégélianisé. Les choses ne sont cependant pas aussi simples : les Marbourgeois, et en particulier Natorp, ont en effet relu l’éthique kantienne comme l’annonce d’une véritable « philosophie sociale » pour laquelle l’individu, en dehors des communautés concrètes dans lequel il vit, est une simple abstraction ; et la tâche de cette philosophie sociale est de saisir l’existence de l’homme dans son intégralité, c’est-à-dire non pas dans une juxtaposition de sphères mais dans la corrélation de diverses dimensions : familiales, économiques, juridico-politiques et culturelles. Nous nous proposons de confronter cette approche de l’individu social à l’analyse du concept de Sittichkeit dans la Philosophie du droit.
12H-14H : DEJEUNER
14H-15H : EMMANUEL BAROT (NICE/TOULOUSE)
LA SITTLICHKEIT HEGELIENNE AU SERVICE DU SOCIALISME REVOLUTIONNAIRE ? SARTRE ET LES INSTITUTIONS DE LA LIBERTE DES CAHIERS POUR UNE MORALE A LA CRITIQUE DE LA RAISON DIALECTIQUE
Selon Sartre dans L’être et le néant (1943), Hegel, dans la dialectique du maître et de l’esclave, a eu « l’intuition géniale » contre le solipsisme de ce que toute conscience de soi dépend dans son être même des autres consciences. Mais, contre lui, Sartre affirme que la séparation des pour-soi reste l’indépassable « scandale » et que la collectivité peut exister au mieux comme « totalité détotalisée », jamais comme Sujet. Les Cahiers pour une morale (1947-1948) élargissent l’interrogation, véritable confrontation à la Sittlichkeit hégélienne, aux modalités historiques de la reconnaissance mutuelle des libertés à laquelle il refuse malgré tout de renoncer, en un questionnement sur une « morale concrète » qui « doit être socialiste révolutionnaire ». La Critique de la raison dialectique (1960, 1985) enfin, passe ce noyau vivant de l’Esprit Objectif au crible marxien des processus d’objectivation et d’aliénation de l’action aux prises avec la matière sociale, et atteint son point d’incandescence dans la dialectique de la société et de l’Etat. Rendant raison de ce que toute souveraineté (révolutionnaire y compris) ne saurait être que fantomatique tout en faisant l’objet d’une irrépressible aspiration, Sartre occupe finalement un entre-deux très particulier à la fois entre et par-delà les Principes de la philosophie du droit et la Critique du droit politique hégélien de Marx (1843). Le propos déterminera cet entre-deux, i.e. précisera en quel sens Sartre retrouve Hegel par la façon même dont il prolonge Marx.
15H-16H : FRANCK FISCHBACH (NICE)
HEGEL ET LE SENS DU SOCIAL
La pensée de Hegel est souvent donnée comme l’une des sources majeures de la philosophie sociale. Mais on peut aussi bien penser que Hegel n’a découvert le social que pour aussitôt l’étouffer dans une philosophie politique qui fait de l’Etat à la fois le cœur et le sommet de toute formation sociale. En réalité, la question est de savoir où se situe chez Hegel la pensée du social : contre la tentation immédiate et spontanée de la situer dans la théorie de la « société civile », nous ferons quant à nous l’hypothèse que le social, chez Hegel, se dit « Sittlichkeit » - et nous verrons quels effets cette hypothèse produit.
16H-16H15 : PAUSE
16H15-17H15 : MOHAMED FAYÇAL TOUATI (NICE/TOULOUSE)
REVOLUTION ET TERREUR. ELEMENTS POUR UNE RELECTURE DES PRINCIPES
Si le rapport de Hegel à la Révolution française est bien connu, son rapport à la Terreur l’est moins. Or, loin que la critique hégélienne de la Terreur le conduise à rejeter la Révolution, je montrerai que non seulement cette critique est bien plus nuancée qu’il n’y paraît de prime abord, mais que le problème de Hegel n’est en fait ni la Révolution, ni même la Terreur comme telle : il réside dans la possibilité que la Terreur n’obéisse plus qu’à une nécessité aveugle et c’est bien là le problème de toute situation postrévolutionnaire. Je ferai donc une double hypothèse : c’est non seulement à partir de ce problème qu’il faut lire les Principes, mais c’est également à partir de lui qu’il faut lire la question sociale chez Hegel et l’émergence de ce qu’il pressent dans son dernier texte, la révolution sociale.
À PARTIR DE 17H15 : DISCUSSION GENERALE