Présentation de l’éditeur :
La violence policière n’a rien d’accidentel, elle est rationnellement produite et régulée par le dispositif étatique. La théorie et les pratiques de la police française sont profondément enracinées dans le système colonial : on verra dans ce livre qu’entre les brigades nord-africaines dans les bidonvilles de l’entre-deux-guerres et les brigades anti-criminalité (les BAC) dans les « cités » actuelles, une même mécanique se reproduit en se restructurant. Il s’agit toujours de maintenir l’ordre chez les colonisés de l’intérieur, de contenir les territoires du socio-apartheid. Le développement des armes « non létales » — Flash Ball, Taser... — propulse aussi une véritable industrie privée de la coercition. Rigouste montre comment l’expansion du marché international de la violence encadre la diffusion des doctrines de la contre-insurrection et permet de les appliquer à l’intérieur des métropoles impériales.
Cette enquête, fondée sur l’observation des techniques et des pratiques d’encadrement et de ségrégation depuis ceux qui les subissent et les combattent, montre comment est assurée la domination policière des indésirables, des misérables et des insoumis en France.
L’auteur :
Mathieu Rigouste est militant et docteur en sciences sociales. Il a passé près de trente ans en banlieue parisienne. Il enquête et participe aux luttes de base contre les systèmes de domination contemporains. Il est l’auteur de L’ennemi intérieur. La généalogie coloniale et militaire de l’ordre sécuritaire dans la France contemporaine (2009), Les Marchands de peur. La bande à Bauer et l’idéologie sécuritaire (2011) et Théorème de la hoggra. Histoires et légendes de la guerre sociale (2011).
Table des matières :
Introduction : Enquête sur un champ de bataille
La ségrégation endocoloniale
La tactique de la tension
Le marché de la coercition
L’industrialisation de la férocité
Le renforcement du socio-apartheid
Police impériale, guerre sociale
Notes
Introduction (extrait) :
Depuis la fin du XXe siècle, les grandes puissances impérialistes sont entrées dans une nouvelle phase de conquêtes à l’extérieur mais aussi à l’intérieur de leurs frontières [1]. Les différentes formes de misère, les inégalités socio-économiques et les révoltes populaires s’étendent et se multiplient. Dans le même temps, le contrôle, la surveillance et la répression sont devenus des marchés très profitables. Il existe des liens structurels entre ces phénomènes et les transformations des violences policières.
La police est un appareil d’État chargé de maintenir « l’ordre public » par la contrainte. Elle est organisée rationnellement pour produire de la violence. Les études focalisées sur ce que l’on appelle des « violences illégitimes » ou « illégales », des « bavures » et des « accidents » n’observent qu’une partie du phénomène. Elles insistent sur le fait que la police tente de réduire le risque de tuer dans les sociétés qu’elles appellent « démocratiques » [2], que les agents de la force publique travaillent à contenir leur violence et que la brutalisation physique ne représente qu’une exception. Ces observations ne permettent pas de comprendre l’impact et les effets sociaux de comportements peut-être minoritaires dans la vie d’un policier, mais qui structurent profondément la vie de ceux qui les subissent quotidiennement et de plein fouet. Elles masquent aussi le système général des violences symboliques et physiques provoquées par l’activité policière. Les rondes et la simple présence, l’occupation virile et militarisée des quartiers, les contrôles d’identité et les fouilles au corps, les chasses et les rafles, les humiliations et les insultes racistes et sexistes, les intimidations et les menaces, les coups et les blessures, les perquisitions et les passages à tabac, les techniques d’immobilisation et les brutalisations, les mutilations et les pratiques mortelles ne sont pas des dysfonctionnements ; il ne s’agit ni d’erreurs, ni de défauts de fabrication, ni de dégâts collatéraux. Tous ces éléments sont au contraire les conséquences de mécaniques instituées, de procédures légales, de méthodes et de doctrines enseignées et encadrées par des écoles et des administrations. Même les meurtres policiers sont pour une grande partie des applications d’idées et de pra- tiques portées par les différents niveaux de la hié- rarchie policière et politique. Le mot « police » à lui seul contraint chaque fois qu’il est prononcé et par sa seule existence. Toute la police est violence jusque dans ses regards et ses silences.
p. 7 — 8
Éditions La Fabrique, parution le 16 novembre 2012
ISBN : 978-2-35872-045-8
258 pages / 13,2 x 20 cm / 15 euros
[1] David Harvey, Le nouvel impérialisme, Les Prairies ordinaires, 2010.
[2] Voir par exemple Patrick Bruneteaux, Maintenir l’ordre. Les transformations de la violence d’État en système démocratique, Presses de Science Po, 1996 ; voir aussi les travaux réunis par Peter Manning : Peter Manning, Police work. The Social Organisation of Policing, Long Grove, Waveland Press, 1997.