19 juin 1952
Mes très chers,
Bien reçu votre lettre que j’attendais avec impatience. Je suis navré de vous savoir vous débattre avec toutes ces misérables difficultés de la vie « matérielle ». (...) S. travaille très bien et gagne très bien quand le travail marche, mais il est toujours sur le qui-vive pour trouver du travail. Pour le moment c’est un peu calme. Jusqu’à présent on venait le chercher pour lui offrir du travail, mais maintenant il y a quelques concurrents, et il faut jouer du coude.
Nous avons discuté maintes fois pour chercher si on pouvait envisager de monter (une boite), pour cela il faut trouver des capitaux, investir pour l’achat de machines et matières premières (...) Je comptais que Clara pourrait trouver facilement un emploi ici, or il s’avère qu’il n’y a pas de lycée français, sauf deux ou trois écoles privées, et les postes sont largement occupés. Dans ces conditions, je dois envisager de retarder sa venue, et je ne sais dans quelle mesure elle peut reprendre son poste après avoir demandé et obtenu sa mise en congé. S. est très gentil et fraternel, mais je ne peux lui demander, surtout en débutant, de me payer suffisamment pour nous faire vivre tous les 3. Et surtout qu’il y aura pas mal de frais d’installation au début.
Je suis en somme en apprentissage pour le moment. S. ne dispose pas d’argent liquide, même pour me prêter, m’avancer. C’est un cercle vicieux et je ne vois pas encore comment je m’en tirerai.5...)...et alors tu laisses tes cours et tu t’amènes dare-dare ici, çà sera une excellente chose pour bien des raisons. Aussi bien matériellement, les uns et les autres nous aurons une sécurité (...) et surtout nous pourrons faire un travail ensemble. Ta présence me stimulera et toi-même tu pourras de donner à ton activité, une fois débarrassé du gros des soucis quotidiens.
Je compte fermement utiliser mon temps de séjour ici pour faire un travail de synthèse, mais encore faut-il que j’aie mes livres et mes notes. S. craint beaucoup et ne voit pas à qui il pourrait demander de les faire venir. Me voilà livré à mes souvenirs et à ma mémoire et c’est rapidement impossible de faire quelque chose d’achevé avec çà. Si nous étions ensemble, à deux, nous viendrions à bout de toutes ces petites difficultés.
J’attends des nouvelles de Paris. Analysant dans une lettre les dernières années, j’ai conclu à une accélération du cours, mais suspendu aux résultats des élections aux U.S.A. qui pourraient être le facteur de la précipitation finale. Qu’en penses-tu ?